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L’EMPIRE

Un film de Bruno Dumont.

 

Tout comme ceux de Quentin Dupieux, les films de Bruno Dumont occupent une place à part dans le cinéma français. Il est difficile de les caractériser, surtout depuis que le réalisateur a opté pour un penchant humoristique, qu’il n’exploite, d’ailleurs, que dans certains de ses films. Ne nous soucions donc pas de définitions, mais remarquons avec quelle liberté Dumont aborde ses sujets, sans véritablement se soucier de vérisme. Ainsi a-t-il réalisé deux films sur Jeanne d’Arc (très réussis) qu’il a tournés, en grande partie, chez lui, dans le Pas-de-Calais, là où se situe, d’ailleurs, l’action d’une grande partie de ses films et de ses séries. C’est ce même territoire, ces mêmes paysages, qui nous sont devenus familiers grâce à lui, que nous retrouvons avec plaisir, d’autant plus qu’ils sont remarquablement filmés, dans ce nouveau film qui y transpose rien moins qu’une aventure du genre « space opera » à la Star Wars !

Il fallait oser un tel décalage, une rencontre aussi singulière entre, d’une part, un univers cinématographique fortement marqué par l’Amérique et, d’autre part, non seulement le décor bien de chez nous du Pas-de-Calais mais la particularité de ses habitants. Dans une interview, Bruno Dumont explique fort bien l’écart entre ces deux approches : « Nous, les Européens, on a quand même une culture très naturaliste. On a l’habitude du cinéma français très social, mais le réel c’est parfois difficile à décoder. Le cinéma américain a cet avantage qu’il simplifie tout. En fait, c’est un univers où tout est réglé : le bien, le mal, tout est clair, et c’est ça qui l’emmène dans le divertissement, qui le rend facile. C’est un cinéma épuré. »

Cela étant, comment donc s’y prend Bruno Dumont pour mettre ensemble, dans un même film, ces deux démarches si antinomiques ? Et quelle est l’intention sous-jacente au film ? Apparemment, le cinéaste reprend à son compte les codes des films américains du genre « Star Wars ». Bien des éléments présents dans la saga américaine sont introduits dans L’Empire : les sabres laser, la distinction entre ceux qui sont dans le camp du bien et ceux qui sont dans le camp du mal, des vaisseaux spatiaux imposants et même un personnage qui, avec ses poils et cheveux hirsutes, fait penser à Chewbacca ! En vérité, si Dumont cherche à conserver l’aspect fortement distrayant des films américains, il en subvertit, grâce à son humour et, plus encore, à sa malice, la signification. Et il le fait très efficacement. Si, dans L’Empire, on a affaire, comme dans les films américains, à un camp du bien opposé à un camp du mal, on a vite de se rendre compte que le réalisateur prend un malin plaisir à brouiller ce manichéisme. Des personnages du film le disent d’ailleurs clairement : c’est dans le cœur des hommes qu’il y a du bien et du mal, mais on a tort de séparer les humains en deux catégories distinctes. C’est là, à mon avis, le sens profond d’un film dans lequel deux personnages, un homme appartenant au camp du mal et une femme à celui du bien, font l’amour à deux reprises : on n’imaginerait pas des scènes de ce genre dans un film américain ! Quant au final du film de Dumont (que je me garderais de dévoiler), à la fois spectaculaire et plein d’humour, il se propose comme un paroxysme de la désintégration du manichéisme simplet des films américains. On a même droit, au bout du compte, à une sorte de renvoi astucieux au 2001, l’Odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick (un film qui, pour le coup, échappait à la puérilité d’un grand nombre de films de divertissement) mais avec une signification, m’a-t-il semblé, très différente.

Ajoutons, pour finir, que ce film de Dumont pétille, tout du long, de quantité de trouvailles savoureuses. C’en est une que de faire jouer ensemble des actrices et acteurs professionnels, comme Camille Cottin ou Fabrice Lucchini (désopilant en Belzébuth !), et des actrices et acteurs du cru, recrutés sur place, donc non professionnels. On aura le plaisir, entre autres, de retrouver l’inénarrable duo de gendarmes qui nous avaient déjà tant amusés dans les séries P’tit Quinquin et Coincoin et les Z’inhumains. À cela s’ajoute, entre autres idées astucieuses, celle de placer, aux sommets des deux vaisseaux spatiaux principaux, des édifices de notre patrimoine : sur le vaisseau du bien la Sainte Chapelle, sur celui du mal le château de Versailles ! Ou encore de donner aux chevaliers de cette folle histoire des montures inattendues, en l’occurrence des chevaux de trait ! Et ainsi de suite dans ce film inclassable, drôle, fûté et hautement recommandable !  

8/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer

Tag(s) : #Films, #Comédie
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