Un livre de Michel Le Bris.
Il fallait un conteur de premier ordre pour retracer l’histoire conjointe de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, les deux cinéastes dont le plus grand titre de gloire est d’avoir réalisé « King Kong » en 1933. C’est chose faite avec ce gros ouvrage de plus de 1000 pages qui tient en haleine le lecteur comme s’il avait affaire au meilleur des romans d’aventures.
Car Dieu sait si les vies des deux hommes sont remplies de péripéties. Leur première rencontre se situe à Vienne en 1918. Tous deux ont participé à la Grande Guerre, Cooper en tant qu’aviateur et Schoedsack en tant que cinéaste chargé de filmer la vie et la mort des combattants dans les tranchées. Les deux hommes ne cessent ensuite d’être hantés par les tragiques événements de ces années-là et, d’une certaine façon, tout ce qu’ils entreprennent se fait en référence à la guerre, à cette « force obscure » qu’elle a mis en évidence.
En réalisant tout d’abord des documentaires, en prenant tous les risques pour aller à la rencontre de peuples primitifs et d’animaux sauvages, en les filmant comme jamais personne encore n’avait osé le faire, leur intention est bien de rendre compte du monde dans ce qu’il a de plus fondamental et, du même coup, de plus brutal. Pourtant, finalement, seul le passage à l’imaginaire leur permet d’approcher encore davantage du mystère du monde.
Michel Le Bris s’empare de l’histoire commune de ces hommes pour en faire à la fois un récit philosophique et un roman d’aventures. Et c’est, bien sûr, lorsqu’il est question de la conception et de la réalisation de « King Kong » que la narration devient la plus captivante. Alors que l’Amérique est en plein dans la Grande Dépression et que l’Allemagne est en train de basculer dans l’horreur nazie, avant que Schoedsack (qui travaille sur un autre film, lui aussi tout à fait remarquable, « Les Chasses du Comte Zaroff ») ne le rejoigne, Cooper a la révélation de ce que pourrait être « King Kong », « un film d’épouvante et un conte de fée… ».
Ne serait-il pas préférable de choisir entre les deux ?, comme le lui suggère plus d’un interlocuteur. Mais non, Cooper en est persuadé, dans son film il doit y avoir de l’horreur mais aussi de la beauté. Et c’est, bien évidemment, la présence d’une femme qui permet de mettre ensemble les deux : la belle et la bête, Ann (et son inoubliable interprète, Fay Wray) face à Kong. C’est d’ailleurs d’une femme précisément, Ruth Rose, l’épouse de Schoedsack, que viennent les meilleures idées de scénario à ce sujet. C’est elle qui ose aller le plus loin dans l’incroyable érotisme qui contribue tant à la réussite du film. Aucun des scénaristes hommes qui avaient travaillé sur le film n’avait eu cette audace. Mais Ruth Rose, elle, a compris tout le parti, tout le trouble, que l’on pouvait tirer de la présence d’Ann : « Il y a de la terreur bien sûr, en elle, disait-elle, mais autre chose, aussi, qui naît… C’est cet « autre chose » qui fera le film. » « La baguette magique [d’Ann], ajoute-t-elle, c’est son regard, qui fait naître quelque chose de neuf en [Kong], qui le bouleverse. »
Aujourd’hui encore, malgré toutes les innovations et tous les progrès, le « King Kong » de Cooper et Schoedsack continue de fasciner, contrairement à tous les remakes dont aucun ne réussit à égaler la magie du chef d’œuvre initial. Si King Kong est devenu un mythe, comme l’explique Michel Le Bris à la fin de son ouvrage, si, comme tous les grands mythes, il échappe à tous ses contextes et surpasse toutes les interprétations, il est aussi capable de résister à tout, y compris à ses très imparfaites imitations.
8,5/10
Luc Schweitzer, ss.cc.
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KING KONG (1933) - Bande Annonce Officielle - Version Collector BLU-RAY
KING KONG (1933) - Bande Annonce Officielle. Un film réalisé par Ernest B. Schoedsack, Merian C. Cooper et avec Fay Wray, Robert Armstrong, Bruce Cabot. Figurante sans travail, la blonde Ann Darrow