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ELLES

Un court-métrage de Ahmed Lallem de 1966.

 

À quelque chose malheur est bon, comme on dit. Si la crise de la Covid-19 a entraîné, fort dommageablement, la fermeture des lieux de culture et, en particulier, des salles de cinéma, elle a aussi fait surgir quelques initiatives intéressantes. Ainsi, des théâtres et des opéras qui ont eu la bonne idée de mettre en ligne certaines de leurs productions. De même, la cinémathèque française qui, dès le premier confinement, a proposé, sur sa plateforme nommée « Henri », un certain nombre de films de patrimoine à visionner gratuitement (certains d’entre eux, seulement de manière temporaire). On aurait tort de s’en priver, soit parce qu’on aime déjà le cinéma de patrimoine et que c’est l’occasion rêvée de découvrir ou de redécouvrir des films anciens, soit parce qu’on est suffisamment curieux pour ne pas se contenter de films nouveaux ou récents et pour oser chercher son bonheur dans tout le cinéma et pas seulement dans celui d’aujourd’hui.

Sur « Henri », un large choix est déjà mis en ligne. Parmi les films de fiction toujours disponibles, je recommande particulièrement ceux de Jean Epstein (1897-1953), un remarquable et inventif pionnier du 7ème art, mais aussi La Maison du Mystère (1923), un sérial (on disait ainsi à l’époque) en 10 épisodes de Alexandre Volkoff, Feu Matthias Pascal (1924) de Marcel L’Herbier d’après un roman de Luigi Pirandello, Gribiche (1925) de Jacques Feyder et le superbe et étonnant L’Hirondelle et la Mésange (1920) de André Antoine.

Cela dit, « Henri » propose non seulement des fictions, mais aussi des documentaires. J’en distingue, aujourd’hui, un parmi bien d’autres : Elles de Ahmed Lallem, court-métrage de 22 minutes tourné en 1966. Ce réalisateur eut alors l’excellente idée de poser sa caméra dans la salle de classe d’un lycée de jeunes filles en Algérie, faisant ainsi entendre les paroles de ces dernières ainsi que celles de quelques professeurs.

Il vaut la peine de visionner ce film et de réentendre les propos de ces jeunes filles. Le moins qu’on puisse dire, c’est que leurs paroles n’ont rien perdu ni de leur pertinence ni de leur actualité. Le désir d’émancipation des jeunes filles algériennes, en cette année 1966, était manifestement très fort, la volonté de changement très grande. « On a l’impression que la femme algérienne ne sert à rien du tout », se désole l’une d’elle, tandis qu’une autre constate que toutes les jeunes filles algériennes sont « malheureuses ». Ce qu’un professeur (un homme évidemment !) s’empresse de contester, un autre relayant le discours officiel selon lequel « aucune religion au monde n’accorde autant de droits à la femme que l’Islam. »

La réalité, celle dont se font l’écho les jeunes lycéennes, est évidemment tout autre. « La société algérienne est une société faite par les hommes pour les hommes » : tout peut se résumer ainsi. D’ailleurs, en dehors de la sphère privée, les contacts entre hommes et femmes sont inexistants. Plus d’une femme prône, de ce fait, la mixité à l’école, dès le plus jeune âge. Reste néanmoins la difficulté, sinon l’impossibilité, de concilier les deux « civilisations » qui, en Algérie, se heurtent l’une contre l’autre, celle qui est traditionnelle et qui prévaut à la maison, celle qui est moderne et que l’on applique à l’école. Parmi les jeunes filles interrogées, plusieurs sont celles qui sont déterminées à proposer à leurs propres enfants, lorsqu’elles en auront, un autre modèle que celui qui leur a été imposé. Un professeur, quant à lui, estime que, quoi qu’on fasse, il est impossible d’entraver l’émancipation de la femme. Il reste encore beaucoup à faire, malheureusement, en 2021, pour que cette prophétie, si l’on peut la désigner ainsi, se vérifie.

9/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Tag(s) : #Cinéma, #Documentaires, #Films, #Court-métrage, #Cinéma de patrimoine
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