CÉLIBAT DES PRÊTRES, LE CALVAIRE DE L’ÉGLISE

Un documentaire de Rémi Benichou et Éric Colomer.

Bientôt diffusé sur Arte, mais déjà disponible sur wwww.arte.tv, ce documentaire fait suite à d’autres enquêtes sur certaines réalités cachées de l’Église catholique que la chaîne franco-allemande avait programmées ces dernières années. On se souvient, en particulier, d’un documentaire choc sur les religieuses abusées par des prêtres. Cette fois, dans ce film de Rémi Benichou et Éric Colomer, c’est la discipline elle-même du célibat des prêtres qui est mise en cause. Précisons-le tout de suite, et le documentaire d’Arte l’indique avec précision, le scandale, dans ce cas précis, ne vient pas tant du fait qu’un nombre important de prêtres ne respectent pas la règle qui leur a été imposée, mais plutôt de l’hypocrisie, du mensonge, de la dissimulation systémiques qui en découlent, avec comme corollaire un risque de schizophrénie des plus élevés.

Une fois de plus, l’Église catholique, qui se targuait, selon la célèbre formule du pape Paul VI, d’être « experte en humanité », se révèle, au contraire, dès lors qu’on ne se fie plus aux apparences, comme un gigantesque nid de duplicité, un monstre d’hypocrisie. Pour ce qui me concerne, sur ce sujet, il y a longtemps que ma conviction est faite et je l’ai dit et répété bien fois : l’Église est la championne de l’hypocrisie, tout particulièrement pour tout ce qui touche, de près ou de loin, à la sexualité. Entendons-nous bien, en disant cela, je ne pense pas à celles et ceux qu’on appelle parfois « chrétiens de la base », les fidèles laïcs, mais exclusivement au clergé, à commencer par les évêques.

On sait maintenant comment se sont comportés un grand nombre d’évêques chaque fois qu’ils avaient connaissance qu’un de leurs prêtres commettait des actes de pédophilie, leur souci premier étant de protéger l’institution et non pas du tout les victimes. On retrouve cette même propension à vouloir, à tout prix, sauvegarder l’Église dans le documentaire de Rémi Benichou et Éric Colomer. Ainsi quand il est question des enfants de prêtres (il y en aurait, à peu près, 50 000 dans le monde) et qu’on apprend comment des évêques ont cherché à les faire taire, ainsi que leurs mères, en leur versant de l’argent.

Le documentaire d’Arte aborde la question du célibat sous de multiples aspects, au risque de s’éparpiller un peu, mais surtout en suscitant un intérêt qui ne faiblit jamais. Plusieurs témoignages de prêtres ayant quitté le ministère pour se marier avec celle (ou celui) qu’ils ont rencontré(e) et aimé(e) nous émeuvent et nous font réfléchir. « L’Église oblige à l’hypocrisie, elle institue le mensonge », affirme Marc, qui fut prêtre en Seine-Saint-Denis. Bernard, lui, rappelle, entre autres, qu’au cours de sa formation, la question de la sexualité est restée tabou, n’a jamais été abordée, sauf par cette seule question : « Est-ce que tu te masturbes ? ».

En Allemagne, le film montre un couple attachant, celui que forment un ex-prêtre catholique et un théologien protestant. Car, rappelons-le, un grand nombre de membres du clergé est homosexuel, comme l’analyse avec à-propos Marco Marzano dans La Caste des Chastes, livre dont il a été question récemment dans mon blog. Marco Marzano, d’ailleurs interviewé dans le documentaire d’Arte, montre comment, malgré la doctrine officielle de l’Église, celle-ci s’avère être une sorte de refuge idéal pour les homosexuels désireux de garder secrète leur tendance sexuelle.

Chez tous ceux et toutes celles (entre autres, les compagnes de prêtres) qui souffrent, d’une manière ou d’une autre, de la position intransigeante d’une Église engluée dans le mensonge, une colère légitime s’exprime. La fille d’un prêtre rwandais parle même de « crime » à propos de ce que fait l’Église. Une religieuse qui a sillonné le monde affirme, quant à elle, que le célibat n’est qu’un « emballage, une farce », en se demandant s’il y a 5% de prêtres qui vivent réellement la continence à laquelle ils devraient théoriquement se plier.

N'y a-t-il donc aucun espoir de changement ? Certains prêtres, en Allemagne ou en Autriche, ont pris le taureau par les cornes, sans attendre d’hypothétiques réformes venues du Vatican. Il y a eu des bénédictions de couples homosexuels en Allemagne. D’autres prêtres commencent à former, dans leur paroisse, des hommes mariés, des femmes également, qui puissent présider des célébrations. En Autriche, des prêtres ont lancé un appel à la désobéissance qui a été relayé dans le monde entier par des membres du clergé. À côté de ces pays-là, il faut bien l’avouer, la France paraît incroyablement timorée, frileuse, sans la moindre audace, peut-être parce que, malheureusement, le clergé le moins âgé, dans notre pays, se distingue surtout par son conservatisme étroit et sa triste propension au passéisme.  Déplorable constatation !

Des prêtres mariés, il y en a pourtant déjà dans l’Église catholique, comme l’indique le documentaire d’Arte, soit parce qu’ils proviennent d’une Église d’Orient (c’est le cas d’un prêtre de Suisse), soit parce que ce sont des convertis de l’anglicanisme (il y a même, parmi eux, des évêques). Néanmoins, l’Église persiste absurdement à maintenir, contre vents et marées, son étroite discipline, prenant le risque, de plus en plus flagrant, de péricliter un peu partout dans le monde. En Afrique, mais aussi sur tous les autres continents, las d’attendre en vain des réformes venues de Rome, de nombreuses Églises dissidentes se sont créées, avec des prêtres mariés. Le pape François, qui mit le doigt sur le risque de schizophrénie à l’œuvre à la Curie, a pourtant laissé passer l’occasion d’autoriser, enfin, l’ordination d’hommes mariés lors du synode sur l’Amazonie. Pourquoi donc ? À cause de la peur d’un schisme éventuel ? À tout prendre, pour ce qui me concerne, je préférerais que l’Église ose ce risque-là plutôt que de faire perdurer une discipline obsolète qui l’empoisse d’hypocrisie !

                                                                                     Luc Schweitzer, ss.cc.

Célibat des prêtres, le calvaire de l'Église - Regarder le documentaire complet | ARTE

La majorité des prêtres dans le monde ne respecterait plus aujourd'hui le célibat que l'Église leur impose. Ce documentaire explore les différentes facettes de cette réalité et confronte l'...

https://www.arte.tv/fr/videos/097605-000-A/celibat-des-pretres-le-calvaire-de-l-eglise/

Des prêtres autrichiens appellent à la désobéissance - Le site de l'Eglise Catholique en Belgique

Un vent de rébellion souffle sur l'Église catholique autrichienne. Plus de 300 prêtres viennent de lancer un " appel à la désobéissance ", dans lequel ils prônent le mariage des prêtres ...

https://www.cathobel.be/2011/09/des-pretres-autrichiens-appellent-a-la-desobeissance/

Comments

[Jean Huret]

Bonjour ! Merci de ce post dont je partage la plupart, peut-être toutes les conclusions. Mon commentaire abondera dans votre sens. Mais avant cela, permettez-moi d'écrire ce qui suit. En vous lisant, je ne peux pas m'empêcher de penser à la prière du pharisien : "Je te rends grâce, Seigneur, car je ne suis pas comme ces gens-là...". L'indignation qui porte sur le péché des autres réclame d'avoir fait un sacré ménage chez soi, et l'aide à apporter aux personnes réclame quant à elle une énergie qui se perdrait dans les invectives contre l'Eglise et tous ses péchés. Je trouve que le ton de votre article est compréhensible mais lui fait perdre en crédibilité.

Ceci étant dit... L'obligation, dans l'Eglise latine, du célibat sacerdotal a pu se comprendre, ou s'expliquer, par les conditions dans lesquelles elle a été imposée. Il y avait, d'une part, des abus (pourquoi s'indigner de ceux des Borgia?) et d'autre part la civilisation de l'époque fournissait un cadre dans lequel le célibat du clergé était porteur de sens : il se calquait sur celui des moines.

Ce célibat monastique était vécu dans un contexte où rien n'était laissé au hasard. La garde du coeur, des pensées, l'ascèse, la vie liturgique, le travail manuel et intellectuel, l'accueil et le service des pauvres... tout contribuait à donner du sens à un célibat qui n'était pas une négation de la vie sexuelle mais une manière de l'orienter vers le royaume selon la parole du Christ : "Il y en a qui se rendent eunuques en vue du Royaume de Dieu. Comprenne qui pourra" (Mt 9, 12). Je ne veux pas dire que la vie monastique était un Eden, loin de là, mais elle était porteuse d'un sens pour le célibat, et pas seulement dans la vie communautaire -il y avait des ermites.

Dans une société sécularisée, l'Eglise et le monde n'offrent plus ce "sens". Le célibat est vécu comme une injonction sans gratification émotionnelle, humaine, spirituelle. Il devient souvent, comme vous l'écrivez, un lieu-refuge pour des jeunes à la sexualité complexe : indéterminée, frénétique, floue, homophile, pédophile (désolé de faire se succéder les deux : pas d'équivalence dans mon esprit). Avec le temps, le prêtre diocésain devient cet homme bizarre, investi de tas de pouvoirs, d'une image publique très forte et d'une vie personnelle qui passe entièrement sous le radar à partir de 22h. Certains compensent en devenant des papes micro-managers dans leur paroisse, d'autres en se créant une vie parallèle sur un blog où ils peuvent enfin être eux-mêmes et s'adresser à l'auditoire qui n'est pas dans leur église, ou conforter celui qui se sent en sécurité auprès du prêtre rassurant, d'autres se promènent sur Internet puis dans les rues, puis des lieux de rencontre, puis chez des inconnu(e)s. Certains prêtres sont merveilleux de candeur enfantine, d'autres compensent très honnêtement dans le sport et une vie pastorale intense. Mais on leur demande à tous un exercice qui est soit frustrant et peu porteur de sens, soit contourné par la double-vie -qui prend des formes variées, de la consultation de sites X à une vie sexuelle avec un(e) ou plusieurs partenaires.

Je crois que se fixer sur le célibat ou sur l'hypocrisie qu'il y a à le garder est une manière de viser à côté. Ce qui manque, dans l'Eglise, c'est l'impression que tout cela (pas seulement le célibat mais toute la vie de l'Eglise dans le monde moderne) possède un sens capable de transformer la vie. Les très nombreuses propositions spirituelles, du meilleur au feel-good catho, expriment un manque énorme : il n'y a plus de sens donné par l'Evangile d'une manière accessible et vécue par tous. Exemples : l'Eglise Catholique est la seule Eglise où le corps soit si peu associé à la vie spirituelle : le jeûne, les processions, la rupture des jeûnes, la sanctification du quotidien ont disparu. C'est une christianisme des dimanches avec des semaines mornes, sauf pour les derniers cathos qui restent, de moins en moins nombreux et de plus en plus endogames.

Un évêque, c'est un prêtre qui est devenu évêque... Un Pape, c'est un évêque qui est devenu Pape. Si le Pape reste isolé, sans interlocuteurs pour lui dire merde, ce sera la fuite en avant avec des coups de crosse désespérés. Pour ma part, je propose un retour à la synodalité d'avant le schisme de 1054, voire de Chalcédoine, jusqu'à ce que les ressources soient à nouveau partagées et que nous retrouvions l'expérience d'une Eglise qui produit moins de documents magistériels, qui arrête de se fixer sur le sexe, et qui fasse faire à tous une expérience de la résurrection qui nous donne le courage de vivre l'Evangile (qui n'est pas un pique-nique, si l'on essaye de s'y tenir).

L'Orthodoxie fait la preuve aujourd'hui, de défauts que le catholicisme a perdu au cours de l'histoire (vie consubstantielle au politique). Mais elle a un réalisme pastoral souvent plus grand sur la vie sexuelle. Les prêtres ne peuvent pas se planquer : leur femme et leurs enfants les en empêchent, et s'ils sont un mauvais coup, tout le village est au courant. Les moralisateurs y sont souvent... les prêtres célibataires. Et que dire des Eglises d'Orient, beaucoup moins liées au politique, qui prennent très au sérieux la chasteté mais dans un ensemble de vertus où elle ne commande pas aux autres. C'est mon expérience, libératrice.