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PAYSAGE PERDU

Un livre de Joyce Carol Oates.

 

 

On se doutait que, dans l’abondante production littéraire de Joyce Carol Oates, un nombre important de romans et de nouvelles se nourrissaient d’éléments autobiographiques. Ce livre en apporte la confirmation. Mais surtout, pour tous ceux qui apprécient cette romancière et pour ceux qui voudraient la découvrir, il s’agit là, plutôt que d’une autobiographie en bonne et due forme, d’un florilège de souvenirs sur son enfance, son adolescence et sa prime jeunesse dont la sincérité et la justesse de ton confinent à la perfection. La petite fille de la couverture, au sourire espiègle et aux yeux qui pétillent de malice, nous invite à entrer dans son monde, un monde d’abord restreint, celui de la ferme familiale, sise dans l’Etat de New-York, là où, enfant d’une famille pauvre venue, du côté maternel, de Hongrie mais entourée de parents aimants et aimés, la petite Joyce découvrit son environnement, la végétation, les poiriers dont on récoltait les fruits pour les vendre, les animaux, poules et coqs en particulier.

Joyce Carol Oates se plaît à égrener nombre des souvenirs précieusement conservés de sa proximité avec ses parents, entre autres son père qui, féru de boxe, parvint à lui transmettre sa passion. L’écrivaine raconte aussi comment, très tôt, en lisant Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles puis De l’autre Côté du Miroir de Lewis Carroll, elle fut séduite par la puissance de l’écrit, des histoires racontées dans les livres. Mais elle évoque également ces faits douloureux et bien réels : l’histoire d’une camarade d’école, Cynthia, élève douée qui, cependant, en vint à se suicider à l’âge de dix-huit ans ; celle de sa sœur cadette Lynn Ann, née dix-huit ans après elle, dont on diagnostiqua qu’elle souffrait d’un autisme sévère qui la rendait violente au point que les parents, à leur corps défendant, durent accepter de se séparer d’elle pour la placer dans un foyer. Au passage, l’écrivaine pointe du doigt les médecins qui eurent le front de suggérer que sa mère était responsable de l’autisme de Lynn Ann, des médecins, des psychanalystes misogynes, parmi lesquels le « père de la gynécologie moderne », le Dr Sims : c’est un comble !

Si ces pages consacrées, les unes à Cynthia, les autres à Lynn Ann, comptent parmi les plus touchantes de l’ouvrage, d’autres, bien moins dramatiques, n’en sont pas moins précieuses à divers titres. Joyce Carol Oates raconte ses années d’université, sa rencontre avec Raymond Smith, l’homme dont elle tomba aussitôt amoureuse et qu’elle épousa, ainsi que ses débuts d’écrivaine. Elle se plaît aussi à se remémorer, assez longuement, comment, petite fille, elle fréquenta d’abord, sur l’invitation d’une camarade, l’église méthodiste, avant de devoir, avec ses parents et à la suite d’une sorte de marchandage avec un curé, intégrer l’église catholique locale. La messe en latin et tout le catéchisme catholique (le catalogue des péchés mortels et des péchés véniels dont il fallait s’accuser !) lui parurent terriblement rébarbatifs et l’on ne s’étonne pas qu’elle en vint, plus tard, à prendre ses distances d’avec tout ce fatras hypocrite. Plus tard encore, explique-t-elle, en lisant certaines œuvres de Nietzsche, elle trouva, écrit-elle, « l’arme qu’il me fallait pour contrer mes années de passivité forcée de quasi chrétienne ».

Ce livre, passionnant de bout en bout, ne manquera pas de susciter l’intérêt de celles et ceux qui sont déjà familiers de l’œuvre de Joyce Carol Oates. Pour celles et ceux qui ne l’ont pas encore lue, il pourrait servir de porte d’entrée.   

8/10

 

                                                                                     Luc Schweitzer

 

Citations :

 

Page 160 :  « Au Bon Pasteur (l’église catholique), les fidèles ressemblaient à des zombies : le regard vitreux, indifférents, abrutis d’ennui. Sans nul doute, comme ma mère l’avait insinué un jour, la messe du dimanche matin offrait un moment de repos aux épouses et aux mères. Un peu comme si elles avaient dormi les yeux ouverts, en s’arrangeant pour rester droites  sur les durs bancs de bois. »

 

Page 167 :  « Un jour, aux environs de mes vingt ans, quand je serai indépendante de mes parents, je cesserai totalement d’aller à la messe. Plus de confessions confuses et bégayantes ! Plus de faux-semblants ! (…)

Pourtant, ironiquement, ce fut vers vingt-cinq ans, alors que j’enseignais l’anglais à l’université de Détroit, université administrée par des jésuites, que je découvris une sorte de catholicisme – intellectuel, philosophique, littéraire – n’ayant quasiment rien de commun avec la religion paroissiale de mon enfance ; au nombre de mes collègues figuraient plusieurs jésuites, des hommes d’une intelligence, d’un esprit, d’une chaleur et d’un charisme exceptionnels, avec qui je me liai d’amitié. (…)

Au moment où j’eus cette révélation, j’avais depuis longtemps cessé de croire. »

 

 

Tag(s) : #Livres, #Souvenirs, #Citations
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