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LES YEUX DE MONA

Un roman de Thomas Schlesser.

 

C’est le succès littéraire surprise du moment : ce roman, dans lequel il est surtout question de visites de musées, de descriptions d’œuvres d’art et de commentaires à leur sujet, se vend, paraît-il, comme des petits pains ! Écrit par un historien de l’art, qui connaît donc parfaitement le sujet qu’il aborde, le livre se présente à la fois comme un ouvrage de vulgarisation et comme une passionnante enquête, très érudite sans être jamais rébarbative, sur l’histoire de l’art, le tout prenant la forme d’un véritable roman, car il y est question d’une histoire d’apprentissage et de transmission (et de découverte de soi) entre un grand-père et sa petite-fille.

L’histoire est habilement conçue. C’est celle de Mona, fillette de neuf ou dix ans au début du récit, qui, un jour, perd momentanément la vue. Inquiets, ses parents la font examiner par un médecin pour qui les causes de cette cécité temporaire doivent être recherchées plus avant au moyen d’une série d’examens. Cependant, pressentant qu’il peut s’agir d’un psycho-traumatisme, le docteur propose de faire suivre l’enfant par un pédopsychiatre. C’est alors qu’intervient le grand-père : c’est lui qui est chargé, chaque mercredi, de conduire la petite Mona à ses rendez-vous. En vérité, le malicieux aïeul propose à l’enfant une tout autre thérapie : chaque mercredi sera consacré à une visite de musée et à la découverte et à la contemplation d’une œuvre d’art, ce qui permettra à Mona de se gorger de beauté avant de perdre, éventuellement, la vue. La fillette accepte avec enthousiasme en jurant de garder le secret.

La structure du roman est, dès lors, établie. Il se compose de 52 chapitres, tous construits de manière identique, chacun d’eux étant centré sur la visite d’une œuvre d’art, accompagnée d’un dialogue explicatif et instructif entre le grand-père et la petite-fille avec, à la clé, à chaque fois, une sorte de leçon à garder précieusement. Chaque chapitre débute par le récit des moments de vie de Mona soit avec ses parents, soit à l’école, soit avec le médecin. Au fil des pages, on apprend aussi combien Mona était attachée à sa grand-mère Colette, dont l’histoire et le décès tiennent une place de plus en plus grande et déterminante dans ce récit. Chaque chapitre se poursuit avec la description détaillée d’une œuvre d’art, puis avec les dialogues qui en découlent, le grand-père situant chaque œuvre dans l’époque de sa création ainsi que dans la vie de son auteur, la petite Mona donnant proposant à l’aïeul le fruit de ses perceptions, de ses réflexions ou de ses questionnements.

Le livre se présente donc à la fois comme un véritable roman, à l’histoire touchante et délicate, et comme une œuvre didactique, un enseignement sinon sur l’histoire de l’art, en tout cas sur ses grandes évolutions, avec, toujours, cependant, le souci d’en préserver l’unité, de rappeler les liens entre les œuvres récentes et les œuvres anciennes. Impossible, on l’imagine, pour le grand-père et sa petite-fille, de visiter tous les musées du monde. Nous devons donc nous contenter de trois musées parisiens, le Louvre, Orsay et Beaubourg, et de 52 œuvres, autant que de semaines dans une année. De Sandro Botticelli jusqu’à Pierre Soulages, en passant par beaucoup de grands noms de peintres, sculpteurs et autres artistes avec, remarquons-le, un nombre conséquent de femmes, le livre a le grand mérite de nous inciter, nous les lecteurs, à voir, à revoir, tout comme la petite Mona, chacune des œuvres dont il est question, y compris celles que nous croyons connaître le mieux, comme l’incontournable Joconde. Que nous soyons familiers ou non des œuvres choisies par Thomas Schlesser, il y a fort à parier que la lecture de ce livre suscitera le désir de s’approprier ou de se réapproprier ces œuvres, de les contempler une fois encore avec, probablement, avec un regard renouvelé. L’ouvrage aura alors atteint son but : non pas seulement délivrer un enseignement, ni même retenir chacune des leçons proposées par le romancier, mais, se laisser regarder par chacune des œuvres autant que nous les regardons nous-mêmes. De tels échanges, on ne peut sortir que durablement enrichis.    

8/10   

                                                                                     Luc Schweitzer

Tag(s) : #Livres, #Romans, #Peinture
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